Un écran noir. Une voix. L’expression « putain de trans ! » pour conclure ces quelques secondes d’absence totale d’images. Secondes qui paraissent si longues, si courtes. Intéressons-nous d’abord aux mots des trans’ avant de nous intéresser à leur image. La volonté est affichée, revendiquée. Nous écouterons avant de regarder.
L’Ordre des mots de Cynthia Arra et Mélissa Arra est une autoproduction de 75 minutes et date de 2007. Le film donne la parole à six personnes trans’ et intersexe qui s’expriment non seulement sur leur souffrance mais avant tout sur leur positionnement en rapport à la normation.
Tantôt en accord, tantôt en désaccord, car telle est la condition des trans’, pour ne pas dire la condition humaine tout simplement face à l’arbitraire du symbolique, de nos sociétés binaires, bipolaires, faisant de la différence une inégalité.
Il se forme un récit mêlant le connu des récits trans’ tels que popularisés par quarante ans de médiatisation, etl’inconnu de leurs pensées, celles que l’on n’entend pas, dont le public sait si peu, voire rien. Une parole dont on se demande, sans faire d’ironie gratuite, si elle trouve à s’exprimer dans les suivis thérapeutiques, car il est surprenant qu’elle ait mis tant de temps à nous parvenir, alors que les trans’ ont affiné leurs paroles et leurs pensées de façon spectaculaire au cours de ces quinze dernières années.
De Maud Thomas à Vincent He-Say, il y a une génération selon le tic-tac de l’horloge biologique, et quelques années de militances, de théorisations, de pensées condensées, travaillées, appropriées, rendues, développées et traduites. Une théorisation dont ne sont pas exclus les autres protagonistes.
Tom Reucher ou Carine Boeuf mêlent tout aussi subtilement anecdotes personnelles et regards critiques sur une situation d’exception autorisant l’exercice de la singularité envers les trans’. Avec Vincent Avrons et Vincent Guillot,
un cri tranquille, presque apaisé, sur la difficulté et le bonheur d’être soi dans le sentiment amoureux, dans le rapport intime au corps plaisir, au corps affectif, au corps douleur, que sont aussi le corps et l’âme intersexe pour ce qui concerne l’un d’eux.
L’Ordre des mots est fait de récits rares, d’une parole précieuse tentant de combler des vides et des trop-plein de mots pour les un(e)s et les autres. Son parti pris esthétique est une chance offerte aux mots par rapport à ces images modelant nos interprétations, parfois abusivement, car nous oublions parfois d’entendre à défaut d’écouter.
Il aura fallu attendre deux décennies pour que le genre documentaire fasse une place à cette parole, objectif que la télévision n’a pas encore su atteindre.