C’est mon coup de cœur, un vrai film de vrai cinéma, tout chaud sorti de l’atelier de mixage, autoproduit par les réalisatrices, Cynthia & Mélissa Arra, pas encore distribué, du « genre » que les amateurs de foot abonnés à Canal+ ont peu de chance de voir. Le film donne la parole à six personnalités transgenre ou intersexe, toutes aussi passionnantes les unes que les autres, car contrairement au machin de Canal+, les réalisatrices se sont adressées à des militant(e)s et des intellectuel(le)s. Le titre L’ordre des mots est bien trouvé. On peut l’interpréter à volonté, depuis l’assignation au genre imposée par le langage qui imprègne notamment la langue française (le terrorisme des accords propre à notre langue), jusqu’à la nécessité de permuter l’ordre des mots lorsqu’on fait une transition. Une seule des personnes utilise d’ailleurs la version francophone « FvH (Femme vers Homme) », alors que les sous-titres et les autres personnes utilisent la version anglaise. Il y a Maud-Yeuse Thomas, qui raconte son parcours émouvant, d’une androgynie intergenre à une identité par défaut de « MtF » (Male to Female = HvF, Homme vers Femme en V.F.). Il y a Tom Reucher, psychologue et fondateur de l’Association du Syndrome de Benjamin responsable actuel de « Transidentité », Vincent Avrons, président actuel de l’ASB, Vincent He-Say, sculpteur sur métal, l’un des fondateurs du GAT (Groupe Action Trans, qui se présente comme « FtU », c’est-à-dire « Female to Unknown », bien qu’« il » ait subi une ablation des seins (Mastectomie), dont « il » n’a pas peur de déclarer qu’il lui est arrivé de la regretter au début (cela m’a fait penser à mon tatouage, qui, au début aussi, m’avait provoqué ce genre de réaction, même si c’est moins définitif). Il y a Carine Bœuf, elle aussi fondatrice du GAT, militante LCR, transgenre « MtF », qui raconte ses entretiens édifiants avec les psychiatres qui l’ont reçue en France, ce qui nous permet de comprendre son activisme radical anti-psy. Des images d’archives de zapping sont incluses dans le film, notamment celui de Patricia Mercader, auteur d’un ouvrage modestement publié à L’Harmattan, L’illusion transsexuelle. Il est dommage qu’on n’ait pas choisi celui dont a été l’objet Colette Chiland, qui me semble plus contestable (Voir mon article sur Changer de sexe, d’Alexandra Augst-Merelle et Stéphanie Nicot). Cela a donné lieu à des applaudissements dans la salle, ce qui me gène toujours, car c’est avec ce genre de réactions que l’on pousse des gens peu informés à lyncher n’importe quel bouc émissaire. Cela dit, le film et le débat qui a suivi permettent de comprendre le ressenti des transgenre, et expose l’incontestable retard en la matière de l’ensemble de la société française, pas seulement les psychiatres. Vincent Guillot, le porte-parole de l’Organisation Internationale des IntersexuéEs est le dernier témoin, le seul intersexué. « Il » explique en détail sa situation, comment, ne sécrétant aucune hormone (cas rare même parmi les intersexes, qui présentent, apprend-on, 75 variantes), il a été obligé d’en prendre, ce qui lui donne une apparence masculine alors qu’il se sent plutôt femme. Il a vécu longuement en couple « lesbien » avec une fille, sous cette apparence masculine, mais on le voit aussi dans le film habillé en fille… On apprend beaucoup dans ce film, par les mots et par les images, notamment que les intersexes sont plus nombreux qu’on ne le dit (je me méfie pourtant des chiffres annoncés par les militants, comme je l’ai expliqué concernant le sida dans VIH-Sida : la vie en danger, d’Aggée Célestin Lomo Myazhiom). Pour libérer les témoins de « l’ordre des mots », les réalisatrices ont eu la bonne idée de séparer souvent les images et les paroles, ce qui permet de transformer ce qui aurait pu être des bêtes de foire en vrais personnages dont la présence irradie. Le corps a sa grammaire que la grammaire ignore. On pourra tout reprocher à ce film, parce qu’il a choisi de donner la parole à une ultra-minorité, en gros, les transgenre gauchistes ou libertaires, mais voilà qui tranche agréablement avec la traditionnelle image complaisante de la transsexuelle à gros nibards telle que l’apprécient les abonnés à Canal+ (d’où l’intérêt de montrer et de nommer les cicatrices de l’opération, dans une scène d’ailleurs fort pudique). Les transgenres « FvH » sont enfin rendus visibles, et cela va faire des vagues dans les chaumières, un peu comme quand on ose parler des « prostitués » et non des « prostituées ». En effet, ce qui choque, amuse et titille, c’est toujours qu’un homme ose s’abaisser au statut de femme. Qu’une femme aspire au statut d’homme, on le méprise et l’ignore. Qu’un homme se prostitue, on préfère l’ignorer, le statut de pute étant consubstantiellement réservé aux femelles. On peut regretter que le radicalisme de ces militants leur laisse ignorer le rôle de l’éducation dans le changement des mentalités (cependant ce film est un premier pas, et je le vois fort bien introduire des débats passionnants dans les lycées). J’ai beau me démener depuis le début pour inclure la question transgenre dans la sélection HomoEdu de livres pour les jeunes, je n’ai eu qu’un seul retour d’une des nombreuses associations transgenre, par Alexandra Augst-Merelle & Stéphanie Nicot. Or s’il faut bien sûr s’attaquer aux psychiatres paléo-monolithiques et aux politiciens, il me semble, comme dans le milieu homo en général, qu’on a tort de négliger l’éducation. Je suis heureux de constater pourtant que le livre Ne m’appelez plus Julien, de Jimmy Sueur, que j’ai été le premier à défendre, commence à être cité un peu partout… On peut écouter l’émission BISTOURI OUI – OUI !, « la radio faite par des trans pour les trans et … pour tout le monde ! » sur Radio Libertaire, le jeudi de 19h30 à 20h30, en alternance avec Pédérama. Bien sûr, ne cherchez pas à Paris une fréquence où des altersexuels puissent s’exprimer en dehors de la radio anarchiste, sauf à ne pas avoir de cerveau et à se réduire à pousser à la conso gay.